Le sarthois Antoine Joly

Notre ambassadeur au Suriname

Hier nous avons eu l’occasion de faire connaissance avec S.E (Son Excellence, en langage protocolaire) Monsieur l’ambassadeur Antoine Joly, un sarthois qui a embrassé depuis de nombreuses années la carrière diplomatique actuellement en poste à Paramaribo la capitale du Suriname. Voici quelques semaines le Quai d’Orsay lui a confié la représentation diplomatique française dans ce pays ainsi qu’en Guyana et Ilatou a profité de cette belle opportunité qui s’offrait à nous pour prendre une leçon de géopolitique sur cette grande région caribéenne si chère à la France avec la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane.

Voici quelques jours vous avez pris vos fonctions d’ambassadeur du Suriname, en succédant à Michel Prom, et il y a quelques années vous étiez en poste au Nicaragua. Est-ce à dire qu’au au Quai d’Orsay on vous considère comme un spécialiste de l’Amérique du sud ?

Un peu oui. Lorsque j’étais député j’étais également président du groupe d’amitiés France Brésil et au cours de mes études j’ai fait un peu d’anthropologie à la suite de la lecture de « Tristes tropiques » de Lévy Strauss, en particulier autour des Nambikwaras peuple amérindien du Brésil. Plus tard, comme délégué pour l’action extérieure des collectivités locales j’ai beaucoup voyagé en Amérique latine et j’avais en effet souhaité être nommé sur ce continent pour mon premier poste et ce fut le Nicaragua. Je connaissais aussi la Guyane où j’avais participé déjà à la conférence régionale de coopération et dans la foulée on m’a proposé le Suriname qui est aussi une représentation diplomatique pour la Guyana et la CARICOM, le marché commun caribéen.

Avant d’en venir directement à votre poste actuel, quel souvenir gardez-vous du Nicaragua grand pays d’Amérique centrale qui s’est beaucoup ouvert au tourisme ces dernières années ?

Que de souvenirs ! J’ai beaucoup aimé le Nicaragua, son peuple, son histoire, sa culture, en particulier sa littérature. C’est un pays magnifique et encore authentique. Si je ne devais retenir qu’un seul souvenir …ce serait difficile. Peut-être sur le plan touristique la côte Pacifique au sud, magnifique avec des collines vertes qui plongent sur une mer émeraude avec ici où là quelques surfeurs et toujours des bateaux de pêche qui vous ramènent une bonne langouste.

Le Suriname, ancienne Guyane hollandaise, partage cinq cents kilomètres de frontière, à l’est du pays, avec la Guyane ce qui ne manque pas de favoriser les mouvements migratoires en direction de ce département français d’outre-mer. Quel regard porte l’ambassadeur de France sur une situation jugée de Paris très complexe à gérer depuis de nombreuses années ?

La migration sur le plateau des Guyanes est une vieille histoire, les amérindiens ne savaient pas que l’Oyapock pourrait devenir une frontière et les esclaves qui fuyaient l’horreur des plantations hollandaises s’installaient où ils pouvaient en remontant le Maroni. Certains se sont installés sur la rive gauche et sont devenus surinamais et d’autres sur la rive droite et sont devenus français …Il ne faut jamais oublier ces mouvements de population qui ont précédé l’installation des frontières. Et puis il y a eu la guerre au Suriname dans les années 1980 et des milliers de Bushinengués ou marrons descendants des esclaves noirs sont venus se réfugier en Guyane et y sont restés. Aujourd’hui le problème migratoire avec le Suriname n’est pas tant la question de la volonté de surinamais de venir s’installer en Guyane, la pression n’est pas si forte, mais la multitude des relations transfrontalières, des enfants qui traversent le fleuve pour venir à l’école, des mères qui viennent accoucher, des contrebandes et trafics aussi. C’est un grand défi de mieux gérer l’ensemble de ce territoire frontalier entre la Guyane et le Suriname.

Saint-Laurent du Maroni, ville frontière avec le Suriname, subit directement cette affluence d’immigrés Brésiliens et Haïtiens, venus du pays voisin. Quelles sont les mesures prises pour stopper ces mouvements migratoires alimentés par des réseaux de passeurs ?

C’est vrai que le Suriname est devenu aussi un pays de transit d’Haïtiens, de Brésiliens, qui eux peuvent cependant arriver directement sans passer par le Suriname et de Guyaniens venant du Guyana. C’est une question qui est sensible en Guyane et que nous devons gérer avec les autorités surinamiennes. A notre demande elles ont rétabli l’obligation de visas pour les Haïtiens et la police aux frontières et la gendarmerie collaborent avec leurs homologues surinamais et les retours à la frontière se comptent par milliers. Mais le passage ne se fait pas avec des passeurs. Il suffit de prendre un des pirogues qui traversent le fleuve sur des centaines de kilomètres de frontière entre la Guyane et le Suriname ou entre le Guyana et le Suriname… Ce n’est ni la Manche, ni la Méditerranée.


Le Suriname et la Guyane ont également en commun leur lutte contre l’orpaillage illégal qui pollue les fleuves et la végétation. Comment ces deux pays coopérèrent-ils pour éradiquer ce trafic préjudiciable autant à l’environnement qu’à leur économie ?

C’est en effet un fléau très grave qui met en danger les populations, les enfants en particulier. L’armée française en Guyane a une mission essentielle dans la lutte contre l’orpaillage clandestin mais sur notre territoire et nous devons aussi travailler avec le Suriname car ce sont les mêmes rivières et le matériel clandestin transite par ce pays. Nous menons des opérations conjointes avec les forces armées du Suriname ainsi que la police mais il faut aller au-delà. Nous allons lancer un vaste programme sur la Guyane, le Suriname et le Guyana pour introduire des techniques qui existent d’alternative à l’utilisation du mercure et proscrire son usage en collaboration avec WWF et bien sûr les gouvernements que nous sensibilisons à ce poison terrible.

En tant qu’ambassadeur de France au Suriname vous représentez aussi notre pays auprès de la Communauté caribéenne. En quelques mots, en quoi consiste ce marché commun caribéen ?


La CARICOM est en effet le marché commun qui regroupe essentiellement les îles anglophones de la Caraïbe mais aussi Haïti, le Guyana et le Suriname et Saint-Domingue pour former ce qu’on appelle le Cariforum. C’est l’interlocuteur de l’Union européenne pour la négociation de l’accord d’échange commercial entre notre marché commun et le leur. Nous coopérons également avec la CARICOM pour mettre en œuvre les moyens de secours en cas de catastrophe qui toucherait la région, tremblement de terre, tsunami, éruptions volcaniques, ouragans, etc. L’enjeu pour la France est de faire en sorte que la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe puissent accéder également à ce marché commun afin de faciliter leur intégration économique régionale. En tant que représentant de la France auprès de cet organisme c’est l’une de mes missions.

Interview réalisée par Jean-Yves Duval responsable éditorial

(Pour suivre : Le Suriname, mais aussi au Guyana)