Entretien exclusif avec Thierry Gomez

Président de Le Mans FC à l’heure de la montée en National

Thierry Gomez est un président de Le Mans FC Heu-reux ! Et comment ne pas l’être lorsque samedi soir après leur match nul contre Limoges les sarthois ont appris leur accession en National. Qui aurait parié en début de saison sur une telle success-story ?

 Il faut dire que depuis son arrivée aux commandes du club l’ancien dirigeant de l’équipe de Troyes a vu, année après année, sa stratégie chi va piano, va sono e va lontano, légitimée par les résultats. Et ce n’est pas aujourd’hui qu’il va en changer et que la réussite va lui monter à la tête. Sa recette reste indéfectiblement la même, construire un club sur la durée, sérieusement, avec obstination et constance. Et tant mieux si la victoire, telle la cerise sur le gâteau, est au bout du chemin. Au sortir du week-end, dès lundi matin Thierry Gomez a retroussé les manches de chemise car le défi qui l’attend dans les jours à venir est double : financier tout d’abord et structurel ensuite car en changeant de division et en approchant du soleil il n’entend pas se brûler les ailes. Nous l’avons rencontré au Centre d’entraînement de la Pincenardière et il a bien voulu en exclusivité nous livrer ses réflexions à trois journées de la fin du championnat.

Question - Avant toute chose quel bilan tirez-vous de cette saison qui touche à sa fin ?

Thierry Gomez - Comme je l’ai rappelé aux joueurs il est important de bien terminer cette année, pour nous mais aussi vis-à-vis de nos supporters et de nos partenaires, d’engranger quelques points supplémentaires et de jouer le jeu jusqu’au bout par respect pour les équipes qui jouent le maintien, je pense en particulier au Havre. Notre objectif est d’être le plus performant possible pour les trois derniers matches et d’aller chercher la victoire à chaque fois. C’est aussi la meilleure façon de bien préparer la saison suivante.

Q. – Le National est en réalité une Ligue 3 qui ne dit pas son nom, est-ce que ce n’est pas là toute l’ambigüité d’une division à cheval sur le statut professionnel et le statut amateur ?

T.GOui, en effet, il y a là beaucoup d’hypocrisie, c’est un championnat professionnel qui ne porte pas son nom et présente des contraintes qui nous obligent à avoir des joueurs à temps complet alors que jusqu’à maintenant ils étaient à temps partiel et pouvaient pratiquer un autre job. En National ils sont à temps complet et en font leur véritable métier dont les revenus sont exclusivement tirés du football. Par ailleurs il faut être capable de jouer le vendredi soir à Marseille et le mercredi suivant à Dunkerque ce qui inévitablement pose des problèmes de transport et de récupération si l’on veut que les joueurs soient le plus performant possible. Au-delà, il y a aussi une question de coûts qui n’existait pas en National 2.

Q. – Cela nous amène à parler gros sous, cette année votre budget était de l’ordre de 1,8 million d’euros et du fait de cette nouvelle masse salariale et des déplacements vous allez flirter avec les cinq ou six millions et cela ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval.

T. GSi nous voulons être ambitieux il faut en effet compter sur 4 à 5 millions d’euros. On a la chance de gérer plutôt bien le club, on a aussi défini une stratégie avec des priorités sans vouloir tout faire d’un coup que ce soit au niveau de la formation, des jeunes, etc. Le résultat d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, est la conséquence de notre travail quotidien. On aura donc des choix à faire car nous sommes à une marche de retrouver le professionnalisme, ce qui, lorsque nous étions en CFA 2 était utopique.

Q. – Vous allez donc vous mettre en chasse pour trouver de nouveaux partenaires locaux et pour cela le délai va être très court car vous devez présenter votre budget à la DNCG d’ici le 15 mai, cela ne vous inquiète pas ?

T.G – Il nous faut en effet proposer un budget qui soit viable, sans se compter d’aligner des chiffres mais de les expliquer. Et c’est ce budget qui va définir une masse salariale qui va être forcément contrôlée comme pour tous les clubs. Ce qui veut dire que même si 15 jours après j’ai un nouveau sponsor qui se présente il nous faudra attendre le mois de décembre pour l’intégrer dans une nouvelle masse salariale qui devra être à nouveau validée par la DNCG. Ce qui veut dire aussi que les joueurs que nous pourrions vouloir recruter ne vont pas nous attendre. Or quand on sait que la réussite d’un club et d’une saison se joue à 70 % entre aujourd’hui et la première journée de championnat vous voyez que ce n’est pas un challenge facile.

Q. – Malgré cet impératif « temps », cette course contre la montre, vous restez néanmoins optimiste pour réussir votre tour de table en un peu plus de 15 jours ?

T.GJ’ai confiance car je sais que des entreprises veulent accompagner le club, ont foi en notre sérieux. En deux ans, depuis mon arrivée, on a prouvé un certain nombre de choses, on a créé des emplois au niveau administratif et sportif, direct ou indirect à l’image du traiteur. Alors qu’en CFA 2 on faisait 1200 repas cette année on a fait le double et l’année prochaine on frôlera les quatre mille. Le Mans FC aujourd’hui est un bon investissement et les partenaires publics et privés comme les sarthois ont besoin d’un Le Mans FC fort et nous pouvons apporter énormément tant sur le plan économique qu’en matière de cohésion sociale. Mettre un euro aujourd’hui dans le Mans FC c’est en récupérer dix demain.

Q. – Une rumeur se fait de plus en plus persistante ces temps-ci selon laquelle Ikéa pourrait être un de ces nouveaux partenaires du club …

T.GD’ici le 14 mai cela me paraît compliqué, mais si un jour cela devait se vérifier j’en serais très heureux. En attendant nous devons attirer un ou deux partenaires importants, comme Rouen a pu le faire avec la Matmut et d’autres clubs avec Vinci par exemple, des grosses entreprises donc, mais aussi des PME. C’est notre ambition.

Q.- Question un peu provocatrice, après l’arrivée du Qatar au PSG, des américains à Marseille, des russes à Monaco, on ne pourrait pas nous-mêmes rêver d’un milliardaire des Emirats ou de Bahreïn aux côtés de Le Mans FC, une ville mondialement connue ?

T.GJe comprends que l’étranger fasse rêver, mais certains clubs au lieu de construire quelque chose de local avec patience, ont regretté de s’être ouvert ainsi à l’international. Mais c’est vrai que Sochaux ou Grenoble, avec les japonais, ont fait venir des investisseurs étrangers. Aujourd’hui ce n’est pas d’actualité, ma priorité c’est le tissu économique local.

Q. – Vous en êtes où du côté de la mairie, celle-ci acceptera-t-elle d’augmenter sa contribution au club ?

T. GJean-Claude Boulard est un vrai soutien, et au-delà de l’aspect financier il existe entre Le Mans FC et lui une vraie relation de confiance, de proximité. Le maire vit passionnément les matches au MMArena et chacun sait que notre club fait partie du patrimoine local auquel il est fortement attaché, sans oublier que nous sommes devenus un des spectacles parmi les plus importants du département, 4 000 spectateurs sur les deux derniers matchs et 22 000 contre Lille. L’an prochain nous devrions augmenter de cinquante pour cent la fréquentation du stade Nous allons donc avoir avec le maire du Mans un rendez-vous prochainement et nous aborderons la question de l’accompagnement de la mairie pour la prochaine saison. Nous avons bien conscience que notre montée en National découple les attentes.

Q. – En ce qui concerne la composition de la future équipe on peut s’interroger. Actuellement vous pouvez compter sur vingt-trois joueurs là où d’autres clubs n’en ont que dix-huit. Sur ce nombre de titulaires combien pensez-vous en garder la saison prochaine ?

T.GNous avons un projet sportif, un modèle économique et des valeurs. On a vécu une année exceptionnelle, face à Lille, avec la montée, en déplacement dans les DOM TOM, etc. avec des moments de cohésion très forts et l’implication des vingt-trois joueurs. Néanmoins certains joueurs vont en effet partir et d’autres vont arriver, pour certains nous nous interrogeons, c’est vrai. Nous avons une réflexion compliquée à conduire avant d’effectuer des choix et prendre une décision et la primeur de celle-ci nous la devons à nos joueurs.

Q. – Au-delà des joueurs se pose aussi la question de l’entraîneur. Richard Désiré à mené le Mans FC à la victoire depuis quelques années, sera-t-il celui qui coachera toujours l’équipe lors de la prochaine saison ?

T. GUn entraîneur peut réussir et ne pas être l’homme de l’avenir du club. Richard sera toutefois l’entraîneur de demain et on va continuer à travailler ensemble et pas seulement parce que nous avons accédé cette année au National. Sous réserve bien sûr qu’il ne décide pas de partir, qu’un autre club lui fasse une meilleure proposition et qu’il l’accepte car, c’est vrai, Le Mans FC revient aujourd’hui dans la lumière et on fait plus envie que pitié.

Q. – Est-ce que le fait pour Le Mans FC d’entretenir un grand nombre d’équipes, une trentaine, ne nuit pas au niveau financier du club ?

T.GC’est pas tellement le nombre qui est en question, c’est plutôt la performance car on est un club qui avons une réserve en DH, une équipe en D2 féminine, des U19 et U17 en championnat de France, un centre de formation qui n’est pas officiel mais officieux, c’est vrai qu’on est structuré comme un club pro. Peut-être même que l’an prochain on aura, ce n’est pas encore acté, notre réserve en National 3 or à mon arrivée et je n’oublie pas qu’il y a deux ans l’équipe première qui jouait au MMArena jouait en N3. Il y a des clubs de première et de deux divisions qui ont leur réserve qui jouent en Division Honneur. Mais dans le cadre de notre projet sportif c’est très important que nous obtenions aujourd’hui ces résultats. On est équipé comme un club professionnel, sans avoir les droits de la télévision ni les aides correspondantes de la région ou du département.

Q. – Au moment où vous revenez jouer dans la cour des grands quelles sont vos relations avec la Fédération française qui du temps du MUC 72 n’a pas toujours été tendre avec le club et nous a sanctionné sévèrement par une véritable descente aux enfers de plusieurs divisions ?

T. GC’est du passé maintenant ! Il faut se tourner vers l’avenir mais je vous rassure Le Mans FC est bien considéré par les hautes instances du football et j’entretiens de très bonnes relations avec Noël Le Graët.

Q. – Pour conclure, vous avez un parcours atypique comme dirigeant après avoir présidé aux destinées de Troyes un club de L1, quel regard portez-vous sur l’évolution du football ?

T.GC’est vrai que des présidents qui ont connu le CFA 2 à la Ligue 1 il n’y en a pas beaucoup, et cela me donne envie de faire partager ma vision de ce sport, mes idées et mon parcours car il y a beaucoup de choses à faire pour améliorer le foot au niveau amateur et professionnel. J’aime ce sport et si j’y suis ce n’est pas pour entretenir une danseuse. En venant au Mans je voulais mettre en place un projet dans un environnement sain qui est primordial pour réussir. Le foot génère en effet des passions qu’il faut savoir canaliser, les stades sont comme des chaudrons en ébullition et entre les joueurs et les spectateurs dans les tribunes il y a souvent une sorte d’alchimie incroyable. L’histoire n’est jamais écrite d’avance et même les meilleurs romanciers seraient incapables d’imaginer certains scénarios qui se déroulent sur la pelouse. Alors sans doute un jour prochain je me livrerai dans un écrit, peut-être sous forme de lettre ouverte, destiné aux décideurs, aux acteurs du monde du football.

Que conclure de cet entretien, si non que Thierry Gomez est un homme prudent qui se souvient que la première année où l’équipe de Strasbourg est montée en National elle a été relégué en fin de saison et que Grenoble à mis cinq saisons pour sortir du CFA. Ce sont là autant d’expériences qui vous invitent à l’humilité. Il sait aussi que les budgets des clubs qui vont évoluer en National sont extrêmement variés, allant d’un peu plus d’un million pour le Petit Poucet à près de huit millions comme c’était le cas cette année pour le Red Star. Par ailleurs on ne compte plus ces dernières années les clubs rétrogradés pour raisons financières, contraints à déposer le bilan ce qui oblige à la prudence. Reste à savoir si comme certains dirigeants le proposent le National ne pourrait pas devenir une L3 professionnelle à échéance 2020 et avoir ainsi accès aux droits TV. Le Mans, pour sa part, dispose d’infrastructures uniques dans sa division avec le centre de formation et son stade du MMArena. Un autre challenge s’offre à Thierry Gomez : Le Mans FC fera-t-il grâce à cette enceinte le plus grand nombre de spectateurs durant la saison ? Réponse d’ici quelques mois. Une chose est cependant acquise, cette montée ne va pas donner le tournis au président du Mans FC pour qui « prudence est mère de sureté » et qui ne changera pas de ligne de conduite car pour lui « rien ne sert de courir, il faut partir à point ». Et nous serions mal venus de lui en faire reproche au moment où notre équipe s’apprête à flirter avec les étoiles.

Entretien réalisé par Jean-Yves Duval