L’interview exclusive de Guillaume Richard

PDG du groupe Oui Car (O2)

Hier nous avons découvert le groupe « Oui Care » que préside le sarthois d’adoption Guillaume Richard, un groupe spécialisé dans les services à la personne. Aujourd’hui nous vous proposons d’aller plus loin avec l’interview de son PDG, une interview réalisée au cours du mois de décembre dans les bureaux manceaux de la société.

Question : Qu’est-ce qui vous motivait en créant votre entreprise : le goût de l’aventure ou la recherche de la réussite financière ?

Guillaume Richard : Cela marche ensemble mais ce n’est pas la réussite financière car le secteur des services à la personne n’est pas celui ou on gagne le plus d’argent, les marges sont très faibles et mieux vaut choisir celui de la finance. En revanche celui des services à domicile est porteur d’énormément de sens car il a un impact social extrêmement fort, vous créez énormément d’emplois. Ainsi dans les dix dernières années le groupe a créé plus de seize mille emplois. Aujourd’hui ce qui nous bloque ce n’est pas de trouver des clients mais de trouver des salariés. Ce que je dis là est vrai pour le court terme car il est impossible d’avoir une visibilité à plus d’un an, sauf à être sur un marché très protégé ce qui n’est pas notre cas. Nous avons à faire face à une concurrence sur les produits, sur la façon de rendre les services, sur le mode organisationnel des choses. Prenez l’exemple des taxis, personne ne pouvait prévoir il y a quelques années la concurrence de Uber, de même pour les hôtels avec Airbnb ou encore l’arrivée de Booking.com. La concurrence ne vient pas forcément de l’étranger par des produits elle vient aussi sur des modes d’exercice différents. En ce qui concerne mon métier les intervenants à domicile peuvent effectuer les prestations à domicile « au black » autrement dit non déclaré ce qui représente la moitié du marché, en étant déclaré de salarié à employeur, en l’étant d’une association, en étant auto-entrepreneur ou micro entreprise avec à chaque fois des charges sociales différentes. Quant aux clients, ils ont le choix de faire le travail eux-mêmes, contrairement à d’autres métiers ils peuvent garder leurs enfants, faire le repassage, etc., ils peuvent aussi confier ce travail à quelqu’un de leur entourage familial ou relationnel, de façon bénévole, ils peuvent aussi faire appel à un CCAS, comité d’action sociale, etc. En clair, côté clients j’ai huit types de concurrence possible ce qui est énorme. Cela c’est pour aujourd’hui mais dans l’avenir les clients pourront aussi faire appel à des robots grâce à l’intelligence artificielle. Cela nécessite donc que nous nous adaptions en permanence et que nous puissions proposer différentes sortes de relations contractuelles aussi bien à nos salariés qu’à nos clients.

Q. Pour autant le marché d’aide aux personnes à domicile est très important, quel va être votre chiffre d’affaires 2017 ?

G. R : Il sera de l’ordre de 257 millions d’euros contre 204 l’année précédente. Ce résultat nous le devons à nos méthodes qui garantissent à nos clients des prestations à haute valeur ajoutée. Un exemple, préférez-vous payer 10 € de l’heure « au black » pour avoir dix chemises repassées sans aucune garantie, ou 24 euros avec toutes les garanties. A priori pourquoi choisir la 2ère formule qui coûte 140 % plus chère que la première ? Sauf que selon des tests qui ont été effectués sur les dix chemises, seulement cinq seront repassées parfaitement dans le premier cas, par ailleurs en passant par nos services, outre un travail professionnel vous bénéficiez de 50% de crédit d’impôt sans parler des garanties vol, destruction, etc. Comme vous le voyez, au final, le bénéfice escompté n’est qu’apparent et si nous obtenons ce résultat c’est parce que nous encadrons nos intervenants et que nous les formons pour une prestation qualitative.

Q. S’agissant de services à domicile on peut penser que vos employées sont essentiellement des femmes, je me trompe ?

G.R : En effet à 97 % des salariées sont des femmes et 90 % des clients sont des clientes ce qui veut dire que notre entreprise est tournée vers les femmes.

Q. En préparant cette interview j’ai découvert qu’en plus de l’hexagone vous intervenez aussi désormais à l’étranger ?

G. R : En effet nous sommes présents en Espagne, au Portugal et au Mexique à travers le rachat d’une société et en 2018 nous serons attentifs à nous développer à l’international mais cela suppose d’avoir de bons dossiers. Ainsi en 2017 nous avons renoncé à monter quatre très gros dossiers dont trois sur lesquels nous sommes allés pratiquement jusqu’au bout. Pour tout vous dire chaque année on examine une centaine de dossiers de toute taille, des gros de plusieurs dizaines de millions d’euros comme des petits de quelques centaines de milliers d’euros. Sur les 257 millions d’euros de CA nous en faisons 253 en France sur un marché en France de quarante milliards d’euros dont vingt « non déclarés » et vingt déclarés. Sur celui-ci l’acteur numéro un est le particulier-employeur, pour les 2/3 du marché, en second viennent les associations pour un quart du marché et enfin nous les entreprises qui faisons 7 à 8 % du marché, c’est-à-dire 1,5 milliard d’euros et sur ce chiffre j’en réalise 253 millions. Au royaume des aveugles le borgne étant roi je suis donc le numéro un au niveau des entreprises. Cela vous explique que nous avons une place énorme à conquérir sur ce marché, il nous faut commencer par stabiliser l’acquis et offrir de nouveaux modes de relations contractuelles avec nos clients et nos salariés avant de s’attaquer au reste du monde.

Q. Vous nous dites bien aujourd’hui que votre groupe à une ambition, une vocation mondiale ?

G.R : Quand on est venu installer l’entreprise au Mans c’était sur la base d’un modèle que nous avions établi et qu’on voulait dupliquer. On s’est alors dit à ce moment-là que notre ambition à trente ans était de devenir leader mondial. On faisait deux cent cinquante mille euros de chiffre d’affaires tandis que le leader mondial, un américain, faisait trois milliards et demi de dollars, soit dix mille fois plus que nous. Mais « viser la lune ne nous faisait pas peur » et cela nécessitait d’être numéro un en France en dix ans et numéro un en Europe en vingt ans. Vous voyez que notre développement international est prévu, inscrit dans la volonté de l’entreprise, je dirai même que pour nous c’est génétique. Les questions sont : à quel rythme ? en passant par quels pays ?  Mais une chose est certaine nous allons faire tous les sacrifices, tout mettre en œuvre pour y parvenir. Les grands champions sportifs qui décrochent des médailles d’or, olympiques, des titres de champions du monde sont là qui nous montrent la voie. Il nous faut, comme eux, avoir la volonté chevillée au corps et fournir un travail acharné en étant conscient cependant qu’il existe des paramètres que nous ne pouvons pas maîtriser, en dehors du marché. Je pense en particulier aux décisions politiques qui peuvent à tout moment modifier la réglementation en cours ce qui explique notre manque de lisibilité. Nous nous sommes assignés un cap et nous nous y tiendrons.

Q. Comment expliquer que les américains et les canadiens occupent la première place, les métiers de base entre vous sont pourtant les mêmes ?

G.R : Il ne vous a pas échappé que la dimension du marché n’est pas la même, c’est dû aussi au fait qu’ils sont partis sur ce créneau depuis plus longtemps que nous. Dans l’histoire européenne ces dernières décennies le travail à domicile était le fait des domestiques ou encore de la femme au foyer et ce n’est que depuis qu’elles se sont émancipées en occupant notamment des emplois professionnels que le problème des services à domicile s’est posé. Et ce sont les associations qui ont les premières, remplies ce vide. Il faut d’ailleurs savoir que le régime associatif, loi 1901, est une particularité bien française et nulle part ailleurs dans le monde celles-ci sont autant influentes. Le seul problème c’est qu’elles sont subventionnées, qu’elles sont pas soumises au régime de la TVA, dont les règles du jeu ne sont pas identiques pour tous, au point qu’on peut parler de concurrence déloyale. Au football on n’oppose pas face à une équipe normale une formation dont les joueurs ont les yeux bandés et les pieds entravés. Il y a, au demeurant, une question sémantique derrière tout cela, à savoir que les associations ont en face d’elles des usagers, qui sont heureux qu’on s’occupe d’eux et nous des clients qui sont exigeants parce qu’ils paient nos services.

Q. Est-ce qu’on peut dire que vous êtes un patron social ?

G.R : On ne vient pas dans ce métier par hasard, notre secteur propose en effet des emplois à beaucoup de gens qui sans cela vivraient dans la précarité, de qualifier ceux-ci par un accompagnement, un management et une formation permanente. Nous agissons comme un ascenseur social qui permet à ces personnes de progresser et d’évoluer et j’ai coutume de dire que dans notre entreprise un salarié satisfait c’est à 99 % un client satisfait. J’ajoute que nous avons aussi un rôle sociétal extrêmement important pour nos clients en répondant à trois phénomènes survenus dans la société au cours de ces dernières années. Le premier c’est le vieillissement de la population qui pose la question de « comment s’occuper des personnes âgées », le deuxième c’est la féminisation du travail qui pose la question de « comment s’occuper des enfants et s’occuper des tâches ménagères » et la troisième, majeure, qui découle du fait qu’on est passé d’une société de « l’avoir » à une société de « l’être » par des étapes successives : l’avoir, l’avoir plus, l’avoir mieux et l’être mieux. La France à connu au sortir de la 2ème guerre mondiale « les Trente glorieuses » où il fallait avoir un toit, une voiture, une machine à laver puis on est passé aux années quatre-vingt « les années fric » et l’avoir plus avec une deuxième télé, une deuxième voiture. Dans les années 2000 ensuite il fallait avoir mieux, on remplace alors les grosses télés par des écrans plats, des machines bruyantes et polluantes par des plus modernes, les voitures diesel par les voitures électriques, etc. Aujourd’hui on est à l’âge de « l’être mieux » où ce n’est pas tant l’accumulation de biens qui prédomine que celle des services pour une meilleure qualité de vie, un plus grand confort. D’où le développement des services à la personne qui en plus d’un enjeu économique et social représente un véritable enjeu familial.

Q.  Être à la tête d’un groupe de 17 500 personnes ça ne donne pas parfois le vertige ?

G.R : Cela confère surtout d’énormes responsabilités et des devoirs envers l’ensemble des collaborateurs car derrière eux c’est pratiquement quarante mille personnes qui dépendent de vous, c’est-à-dire l’équivalent de la population de villes comme Bastia, Agen ou Auxerre. Chacune de mes décisions impacte donc directement la vie de l’ensemble de mes salariés, en ce sens l’entreprise est plus importante que moi. Au départ nous étions trois associés et nous savions que pour devenir leader mondial, à un moment ou à un autre, nous ne serions pas capables d’être les bonnes personnes pour occuper les postes. Au début de l’entreprise on est seul, puis lorsqu’on est deux on apprend à partager, dix à déléguer, cent, mille, à organiser, à se structurer. Lorsque vous êtes à dix mille votre métier à fondamentalement changé, vous êtes passé d’un job d’homme orchestre à celui de chef d’orchestre, les compétences entre temps ont totalement changé. Se pose alors la bonne question : Etes-vous toujours la bonne personne pour mener le combat, le projet à son terme ? Ce n’est pas sûr et souvent même ce n’est pas le cas. Donc des trois du départ, je reste seul aujourd’hui mais le projet de devenir numéro 1 mondial n’est pas pour moi mais pour l’entreprise et à ce moment là je ne serais plus vraisemblablement la bonne personne. Dans cinq ans le métier de ce futur dirigeant sera sans doute d’être le lundi en France, le mardi en Europe, le mercredi aux Etats-Unis, le jeudi en Chine et le vendredi au Japon or pour en avoir les compétences il faut en avoir l’appétence. L’aurais-je à ce moment-là ? Mon ambition est pour l’entreprise, mon engagement pour mes collaborateurs, pour les franchisés qui ont investi dans la marque, mais pas pour moi. Sur beaucoup de choses je ne peux donc pas choisir selon mon propre désir et viendra un moment ou l’entreprise sera devenue trop importante et je ne serais plus ce jour-là la bonne personne pour prétendre la diriger efficacement.

Peu de patrons peuvent actuellement prétendre à une telle lucidité et une telle humilité et c’est aussi l’une des grandes forces de Guillaume Richard qui n’en continuera pas moins à tout donner à l’entreprise pour que celle-ci accède aux plus hautes marches de l’économie mondiale. En essayant toutefois de préserver quelques moments privilégiés comme ceux où il supporte dans les tribunes du MMArena ou d’Antarès, maillots et écharpe au cou, Le Mans FC ou le MSB. On est fan ou on ne l’est pas. Au cours de notre entretien Guillaume Richard nous apprendra encore que l’actuel siège social de la rue Edgar Brandt va prochainement déménager à la gare sud où des locaux en cours de construction seront livrés début 2020. Ce nouveau bâtiment, d’une surface de huit mille mètres carrés qui accueillera près de cinq cents collaborateurs sera appelé à devenir le vaisseau amiral, le fleuron de la flotte « Oui Care ». Qui aurait dit un jour que l’ancien étudiant de l’EDHEC flirterait avec les étoiles ?